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kou est fait à peu près comme les charrettes dans lesquelles on transportait autrefois les morts[1].

Il est traîné d’ordinaire par deux chevaux attelés en flèche. Celui de devant est maigre, efflanqué, se tient à peine sur ses jambes. Celui du limon est gras, a le poil luisant, est franc du collier.

L’Ankou se tient debout dans la charrette.

Il est escorté de deux compagnons, qui tous deux


châtié Ervoanik, son complice irresponsable, en le bannissant du porche où il trônait sinistrement, et en le reléguant au deuxième étage de la tour, dans une sorte d’asile pour saints infirmes ou hors d’usage, que l’on appelle à Ploumilliau la « chambre au lin ». Naguère, on y déposait, jusqu’à ce qu’ils fussent vendus, les écheveaux de lin peigné que les bonnes âmes apportaient, chaque dimanche, en offrande à la grand’messe. La chambre a, depuis, changé de destination. Du temps que j’étais enfant, on y entassait déjà les statues défraîchies ou démodées. Je m’y suis glissé bien souvent, sur les pas du sonneur de cloches. Je retrouve encore toute vive au fond de ma mémoire l’impression de terreur étrange que me causait ce peuple en bois, avec son immobilité, son silence, et la fixité troublante de ses yeux. Ceux qui voudront désormais faire visite à Ervoanik Plouillo devront l’aller chercher en ce lieu d’exil.

  1. Dans certaines régions de la Cornouaille on peut voir encore de ces charrettes grossières et toutes primitives.
    « Quand j’étais enfant, me dit mon père, on transportait les morts au cimetière du bourg dans un tombereau au-dessus duquel on avait courbé en forme d’arceaux des branches de saule ou d’osier. Sur ces arceaux on tendait un drap blanc. Des draps de même couleur étaient jetés sur les chevaux de l’attelage, et le drap mortuaire qui enveloppait le cercueil n’était lui-même qu’une pièce de grosse toile.
    « En voyant s’avancer par la campagne cet étrange appareil, on ne pouvait se défendre d’une sorte de terreur superstitieuse. »