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Dans l’un et l’autre cas, il tient à la main une faux. Celle-ci diffère des faux ordinaires, en ce qu’elle a le tranchant tourné en dehors. Aussi l’Ankou ne la ra-

    sentation de ce dernier type. C’est une statuette, en bois jadis peinturluré, mais que le temps a recouvert d’une épaisse couche de poussière. Elle rappelle à certains égards les « écorchés » qui ornent bizarrement la plupart des cabinets d’histoire naturelle, mais le ventre se creuse en un trou béant. Cet « Ankou » a été la terreur de mon enfance. Son voisinage troublait toujours mes jeunes prières. Il me souvient d’avoir vu de vieilles femmes s’agenouiller devant lui. On l’a surnommé dans le pays Ervoanik Plouillo, Yves de Ploumilliau (avec le diminutif ironique). On ne vient jamais à Ploumilliau sans lui faire visite. Il vient de subir à peu près le même traitement que saint Yves de Vérité (v. plus bas). Voici à la suite de quelles circonstances. L’histoire est jolie et mérite d’être contée, ne fût-ce que pour montrer combien sont encore vivantes chez les Bas-Bretons les superstitions relatives à la mort. Il y a à Ploumilliau un fonctionnaire, excellent homme d’ailleurs, mais qui a le tort, aux yeux de beaucoup de personnes de l’endroit, d’afficher un mépris trop bruyant pour des croyances ou, si l’on veut, pour des superstitions qui leur sont chères. Ces personnes lui en savent naturellement mauvais gré. L’une d’elles, en particulier, lui a voué une véritable haine. Appelons-la Janik, et le fonctionnaire M. K. On comprendra sans peine que je m’abstienne de donner les vrais noms. Toujours est-il que, désespérant de voir M. K. se convertir jamais, Janik en est venue à désirer sa mort. Nos paysannes de Basse-Bretagne ne sont pas tendres pour les mécréants. Pour arriver à ses fins, Janik va trouver l’Ankou. Elle lui fait des neuvaines, le supplie, en des oraisons appropriées, de supprimer un homme qui est un scandale pour la paroisse. Puis, elle attend, confiante. Un mois, deux mois, trois mois se passent. M. K. continue à se porter comme un charme. Que fait donc la faux du terrible faucheur ? Serait-elle émoussée ? Aurait-elle perdu toute vigueur ? Janik s’impatiente ; Janik s’inquiète. Il ne se peut pas que l’Ankou n’ait point entendu