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Chants populaires de la Basse-Bretagne {Gwerziou Breiz-hel), p. 68, et intitulée Trogadec tout court. Dans cette version, c'est Tro-gadec qui tient le discours prêté, dans la nôtre, à la baronne. Ce qui paraît d'ailleurs plus naturel. La fin est particulièrement intéressante comme trait de mœurs :

« Allez chez moi, dit Trogadec au prêtre, et priez ma femme de me venir voir dans l'enfer. Quand elle y sera, elle ne s'en ira plus. Si elle avait voulu, à mon insu, donner Taumône en ma maison, un de nous deux aurait été sauvé... — Et comment donnera votre insu ? répond la femme. Le pain était toujours sous clef, et vous faisiez une marque pour savoir combien il y avait de farine dans le pétrin. — Certes, mais je ne visitais pas le blé dans Tarcbe !... »

Avare pendant sa vie, Trogadec reproche à sa femme, après sa mort, de n'avoir pas su être charitable à sa place. Cela est d'une psychologie paysanne très fine. Nos poètes populaires ont quelquefois de ces trouvailles.

C'est peut-être ici le lieu de faire remarquer quelle importance morale revêt l'aumône aux yeux des Bretons. « Il faut donner aux pauvres ». C'est là un axiome en quelque sorte fondamental. Beaucoup de nos légendes n'en sont qu'une démonstration, une paraphrase. Témoin la merveilleuse aventure de la Pénitente de Lochrist en Izelvet, dont nous croyons utile de donner ici une version. On peut dire que les pauvres sont les rois fainéants de la Basse-Bretagne. Le mot « rois » n'est pas aussi métaphorique qu'on pourrait le croire. Certaines familles forment de véritables dynasties de mendiants. L'état de « chercheur de pain » (klasker bara) est chez nous comme empreint d'un caractère de majesté. A nos pardons, les pauvres jouent un rôle plus essentiel que les prêtres. Leur royauté est de droit divin. On les vénère comme les proches parents de Dieu. On se considère comme tenu de les héberger, de les nourrir. Ils vous disent : « Je dînerai chez vous, tel jour. » On se donne bien garde de les mal accueillir. Us distribuent ainsi leurs journées entre leurs bienfaiteurs, j'allais dire entre leurs sujets. Ils vous abordent avec une patenôtre, vous quittent en vous laissant une bénédiction et c'est vous qui êtes leur obligé. Partout on fait d'eux grand état. Ceux d'entre eux qui ne sont pas des idiots, des « innocents » ont souvent une