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— Est-ce vrai, le bruit qui court, Marie-Job, que vous ne comptez pas aller demain au marché ?

— Quoi donc ! Glauda Goff, aurais-je la conscience d*une chrétienne, si je mettais Mogis dehors par un temps comme celui-ci, où les goélands eux-mêmes n'osent pas montrer leur bec ?

— Je vous le demande, ce nonobstant, pour Ta* mour de moi. Vous savez si je vous ai toujours donné à gagner, Marie-Job... De grâce, ne me refusez point/ Ma provision de tabac-carotte touche à sa fin. Si je ne Tai pas renouvelée pour dimanche, que répondrai-je aux carriers, quand ils viendront tous, à Tissue de la basse messe, acheter de quoi chiquer pour la semaine ?

Il faut vous dire que TEnès-Veur est l'île des carriers : ils sont là, pour le moins, au nombre de Irois ou quatre cents qui travaillent la roche pour en faire de la pierre de taille, et ce ne sont pas des gaillards commodes tous les jours, comme vous pensez, surtout qu'il y a parmi eux autant de Normands que de Bretons. Sûrement, Glauda Golf ne se tourmentait pas sans raison, car ils étaient gens à mettre sa boutique à sac s'il advenait que son débit, le seul de l'île, ne leur fournît pas ce dont ils avaient besoin. Marie-Job Kerguénou comprenait bien cela. C'était elle qui, chaque jeudi, avait mission d'aller quérir le tabac aux bureaux de la Régie ; et, en vérité, ça la chagrinait fort d'être cause que, le dimanche suivant, sa commère recevrait des reproches et peut-être des duretés. Mais, d'autre part, il y avait Mogis, le pauvre cher Mogis !... Puis elle avait comme un pressentiment