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les corps se figeaient en une immobilité hiératique, le buste incliné, les mains aux genoux ; on entendait, à la lettre, voleter au-dessus de la lampe les papillons de nuit que sa lumière fascinait. Et quelle pâleur subite sur toutes les faces, quand, aux endroits pathétiques, le narrateur baissait involontairement le ton, en ralentissant son débit, comme épouvanté lui-même des mystères qu’il allait révéler !

Deux ou trois des habitués de ces réunions étaient vraiment des conteurs émérites. La grandiloquence de Laur Mainguy, par exemple, n’avait d’égale que la verve rude et sobre de Jean-Marie Toulouzan. L’un est un vieux tailleur de pierres, à demi-aveugle  ; l’autre, un ancien pêcheur d’Islande, retraité de la mer. Tous deux maniaient leur langue avec une admirable maîtrise. Les conteuses, toutefois, étaient peut-être encore supérieures aux conteurs les plus distingués. Il y en avait, comme Jeanne-Marie Bénard, comme Catherine Carvennec, qui conduisaient leurs « histoires » avec une expérience de feuilletonistes professionnels. Mais les « reines » de ces veillées étaient, de l’avis commun, Lise Bellec et Marie Cinthe Toulouzan, deux vieilles filles, sœurs par le talent, mais aussi dissemblables que possible d’aspect et de manières. Lise Bellec est couturière à la journée. C’est une petite femme rondelette, potelée, avec de fines extrémités d’aristocrate, des