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frondeur. Leurs moqueries triomphèrent des appréhensions, d’ailleurs injustifiées, de leurs compagnes, et j’eus enfin cause gagnée.

Ce furent de mémorables soirées auxquelles je ne repense jamais sans un vif sentiment de plaisir. Tandis que je feuilletais ces âmes primitives, il me semblait communier avec le génie profond de leur race. Pour mettre en train mon monde, c’était, à l’ordinaire, moi qui donnais le branle. J’entamais le récit de quelque épisode recueilli en d’autres régions. Et, dans le rond de clarté de la lampe, je voyais soudain toutes les têtes se pencher, les physionomies s’animer, les traits se tendre. Tout en parlant, j’assistais au travail de résurrection que chacune de mes phrases provoquait dans ces obscurs cerveaux peuplés de vastes souvenirs. Il était rare qu’on me laissât terminer sans m’interrompre. Nann, n’ê ket ével-sé ! (Non, ce n’est pas comme cela), s’écriait quelqu’un ; aman vé laret a fesson all (ici, l’on conte la chose de façon différente). On devine avec quelle hâte je lui passais la parole et, de conteur, me faisais scribe. Je n’avais plus qu’à crisper mes doigts sur la plume, dorénavant. Une émulation contagieuse enfiévrait peu à peu l’assemblée. De tous les coins de la pièce, des voix s’élevaient, réclamant leur tour. J’étais souvent obligé de contenir les impatiences et de modérer les ardeurs. Mais, sitôt que j’avais dit : « à vous, un tel », le silence se rétablissait instantanément  ;