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être, et auxquels il imprime dès lors le timbre et, si j’ose dire, le frisson de sa personnalité. Par là ces récits funèbres se distinguent des contes mythologiques. Le conte est impersonnel  ; il vient de loin  ; il a traversé les espaces et les durées  ; il parle de pays étranges, de héros fictifs, d’aventures extraordinaires dont on se divertit sans trop y croire ; on se le répète d’âge en âge, sans en changer la substance ni même les termes, un peu comme une leçon : il a quelque chose d’absolu et de définitif. La légende, au contraire, est un produit local : on l’a vue germer, croître, s’épanouir. Elle est perpétuellement en voie de formation et de transformation : elle est vivante. Les acteurs qu’elle met en scène, chacun les connaît ou les a connus. Ce sont des gens du canton, de la paroisse, ce sont vos proches, c’est vous-mêmes. Ce qui leur arrive peut arriver à n’importe qui, et dans les mêmes circonstances, et dans les mêmes lieux. Car le cadre aussi est réel : vous l’avez sous les yeux, à votre porte. C’est le chemin creux où vous avez passé cinquante fois, c’est la lande dont vous voyez d’ici moutonner les ajoncs, c’est le cimetière enfoui là-bas sous la sombre verdure des grands ifs, c’est la mer, cet autre cimetière sans épitaphes et sans croix, que si lamentablement vous entendez gémir. Pour atteindre à une espèce de grandeur tragique, le conteur de légendes n’a donc qu’à se livrer en toute simplicité d’âme aux