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d’ordre surnaturel. La plupart de ces « légendes de la mort » ne sont, en effet, que des incidents réels, voire banals, qu’une imagination prévenue a interprétés dans le sens de ses désirs ou de ses craintes. Un paysan breton s’est-il laissé surprendre aux champs par le crépuscule ? Il se hâte vers sa demeure, déjà troublé à l’idée de quelque funèbre rencontre possible. En avant de lui, cependant, chemine un de ses pareils. A priori, il décide qu’étant donné l’heure tardive ce ne peut être un vivant, et il ralentit sa marche pour n’avoir point à le dépasser. Mais, tout en se tenant à distance respectueuse, il ne le quitte pas du regard. Et voici qu’à la taille, à l’allure, aux vêtements, il croit reconnaître tel de ses voisins qu’il enterra l’autre jour. Il croit ? non. C’est chez lui une conviction immédiate, une certitude absolue. Aussi, dès que le fantôme a disparu (entendez : dès que le passant a tourné dans un sentier de traverse), lui, le paysan, il prend sa course, arrive chez lui hors d’haleine et, aux questions de sa femme, de ses enfants épouvantés, répond qu’il vient de faire route avec leur voisin mort. La légende est créée. Le lendemain, on la colporte de seuil en seuil dans tout le village, non sans l’agrémenter de détails nouveaux. L’hiver d’après, elle est au répertoire des veillées, qui lui impose une sorte de consécration définitive, en la dramatisant.