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dans le commun des morts et sa charge n’est que temporaire : elle revient de droit au dernier défunt de l’année, lequel en est investi jusqu’à la fin de l’année suivante. Peut-être, comme l’a insinué Marillier[1], faut-il voir ici la survivance lointaine d’un ancien culte ancestral : l’Ankou de chaque village aurait été, aux temps reculés, le chef le plus récemment mort  ; puis, l’organisation par clans et le culte des ancêtres ayant tous deux disparu, la croyance populaire aurait attribué à n’importe quel mort, pourvu qu’il fût le plus récent, les prérogatives du chef jadis adoré.

Quoi qu’il en soit de la valeur ou de l’inanité de ces conjectures, ce qu’on ne saurait nier, c’est que la religion de la mort, si chère à la conscience celtique, a conservé des racines singulièrement vivaces et profondes dans l’âme du peuple breton. Si elle n’est pas toute sa religion, comme on serait presque tenté de le soutenir, du moins en est-elle la trame la plus résistante et le fond le plus permanent. Le christianisme n’a pu que consacrer ce qu’il était impuissant à détruire. Et ainsi s’est perpétué jusqu’à nos jours l’anachronisme d’une race ne vivant que de ses morts et avec ses morts, goûtant leur commerce tout en le redoutant, et faisant d’eux, de leurs gestes, de leurs démarches, de

  1. La légende de la Mort en Basse-Bretagne, 1re édition, p. XLIX - LII.