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conception celtique, ce n’est pas ici sans doute le moins significatif. Le trépas ne change rien à la condition de l’homme. Le mort est « parti », mais la vie qu’il mène dans sa nouvelle résidence est identique à son existence d’autrefois. Comme le Celte des âges épiques était assuré de retrouver sur l’autre rive son harnais de guerre et ses armes, ainsi le Breton de nos jours est censé reprendre « là-bas » ses outils et ses habitudes. Les boutiquiers de Ker-Is n’ont pas cessé d’offrir aux chalands leurs étoffes, ni les maraîchers leurs légumes. Ailleurs, nous voyons le fantôme d’un laboureur pousser la charrue, ou bien c’est le rouet d’un vieux fileur d’étoupes qui se fait entendre, après sa mort, aussi obstiné que de son vivant. Ces êtres d’outre-tombe sont désignés par un nom collectif : ann Anaon, les Ames. Mais ces âmes n’apparaissent point séparées de leurs corps. Le défunt garde sa forme matérielle, son extérieur physique, tous ses traits. Il garde aussi son vêtement coutumier  ; il porte la même veste de travail, le même feutre à larges bords qu’on lui a connus, quand il était de ce monde. Et ses sentiments non plus, ni ses goûts, ni ses préoccupations, ni ses intérêts ne sont devenus autres. Les idées chrétiennes n’ont pu entamer sur ce point la vieille croyance primitive. Le mort a ses sympathies et ses aversions, ses amours et ses haines. Un manque d’égards le met hors de lui  ; si on lui fait