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les morts dans une patrie distincte de celle des vivants. On retrouve, en effet, chez eux, très reconnaissables encore sous des modifications de détail, les vestiges de la double tradition irlandaise qui voit dans l’autre monde tantôt une région souterraine, tantôt une région marine. La première est figurée, en Bretagne, par le Yeun Elez où les morts s’engouffrent dans les entrailles du sol, par un trou vaseux, le Youdic  ; la seconde est figurée par un îlot rocheux, le Tévennec, au large de la Pointe du Raz. Comme dans le récit de Procope, les morts y sont conduits en barque, nuitamment. Ailleurs, au mythe de l’île on substitue celui de la ville engloutie. C’est ce qui arrive en particulier sur toute la côte du Trégor. Là dort sous les eaux une terre immense dont les chapelets d’îles égrenés le long du littoral sont les débris encore subsistants. Une ville merveilleuse la couvrait de ses jardins, de ses rues, de ses portiques, de ses églises et de ses palais. C’était Ker-Is. Dans les beaux soirs d’été, quand les vents s’assoupissent et que la mer est calme, on entend la sonnerie de ses cloches. Car, surprise en pleine vie, en pleine activité, par un cataclysme soudain, elle continue de vivre d’une vie mystérieuse, d’une vie enchantée. Ceux qui l’habitent pourraient dire, au rebours des trois hommes rouges de la légende irlandaise : « Bien que nous soyons morts, nous sommes vivants. » Ce n’est, du reste, pas le seul