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prieur du monastère de l’île sacrée. La navigation sur le lac se faisait, non sans péril, dans un tronc d’arbre évidé, juste assez large pour contenir le corps d’une personne : elle durait parfois des jours entiers, pendant lesquels le pèlerin était réduit au pain et à l’eau. Aussitôt débarqué, il se rendait à la cellule pénitentielle que le prieur, sur le vu de la lettre épiscopale, lui assignait et qui était à peine plus spacieuse qu’un cercueil. Il y restait sept jours, défunt au siècle, priant et se mortifiant. Le huitième jour, on l’enfermait dans une cellule encore plus profonde où il ne recevait plus d’aliment d’aucune sorte. C’est là qu’on le venait chercher le lendemain — qui était le jour solennel — pour le mener en grande pompe à l’église. Il se confessait, communiait, entendait une messe de requiem, sa messe de mort, puis, précédé des clercs et des laïques chantant des litanies, il s’acheminait vers l’entrée de la sombre caverne. Sur le seuil, le prieur l’avertissait une dernière fois de renoncer à son dessein, pendant qu’il en était encore temps, et, s’il persistait, lui donnait sa bénédiction avec son accolade, en lui disant : « Allez ! ». L’instant d’après, il était retranché du monde : la porte retombait derrière lui, comme la dalle d’un sépulcre. On la rouvrait le jour suivant, à la même heure, avec le même cérémonial. Si l’homme ne reparaissait point à ce moment précis, on jugeait qu’il avait succombé par manque de foi et l’on faisait le silence sur lui pour jamais.