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En ce temps-là, il était rare que l'on ne gardât point dans les maisons toutes sortes de monnaies anciennes qui n'avaient plus cours, mais qui, disait-on, portaient bonheur. Mon père alla donc à son armoire, prit une petite boîte pleine de sous d'autrefois, et y choisit pour Anna Rouz la pièce qu'elle demandait ; puis, descendant au bas-bout du logis, il puisa, les yeux fermés, une poignée de clous dans le tiroir d'un bahut où l'on conservait pêle-mêle les menues ferrailles.

— Voilà! dit-il en tendant le tout à la « voueuse ». Elle mouilla son doigt de salive et traça une croix

sur le liard', avant de ie glisser dans son corsage : quant à la poignée de clous, elle la fit disparaître dans une des poches de son tablier.

— Sans être trop curieux, interrogea mon père, peut-on savoir, Anna, comment vous opérerez?

— Je n'ai rien à vous cacher, répondit-elle, puisque c'est pour vous que je vais travailler. Demain matin, dès le chant du coq, après avoir veillé toute cette nuit, tout habillée, je me rends d'abord à l'église de la paroisse où je fais une courte prière, puis je fais une station devant le seuil de Hervé Bideau, votre adversaire, où je me signe trois fois de la main gauche, après cela seulement je me mets en route, en ayant bien soin de ne parler à personne,même pour répondre à un salut, tant que je n'ai pas perdu de vue notre clocher. Sur le trajet,ilfaut que je m'arrête à trois carrefours et que je refasse chaque fois trois signes de

1. On dit indifféremment liard ou pièce de dix-huit deniers.