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SAINTE-ANNE DE LA PALUDE

timents refoulés. J’ai entendu des gens graves et officiels leur reprocher l’espèce de fougue brutale avec laquelle ils se ruent au divertissement. Ils s’y précipitent, en effet, tête baissée, joyeux, insouciants, prodigues, quitte à pâtir ensuite pendant des semaines et des mois. En matière d’économie domestique, ils en sont encore à la période sauvage. Qu’un autre les blâme. Pour moi, qui les ai vus à l’œuvre, sur les lieux de pêche, dans les sinistres nuits du large, je songe surtout à la vie de damnés qu’ils mènent, en proie à un labeur dont l’ingratitude n’a d’égale que leur patience, et je serais plutôt tenté, je l’avoue, de les trouver trop rares et trop courtes, ces quelques trêves de Dieu qui les arrachent à leur enfer…

Toute l’animation du port a reflué vers la haute ville. Les quais sont déserts. Les barques, tirées à sec sur le sable de la marine, reposent, flanc contre flanc, en des attitudes abandonnées, heureuses elles aussi de ce répit de vingt-quatre heures. Elles sont si lasses, et c’est si bon, même