Rien de moins sûr, car sans ce prétendu désastre l’unité et la puissance de l’empire allemand eussent été peut-être reculées de plusieurs siècles. Si nous n’envisagions les événements que par leurs conséquences lointaines, nous pourrions même assurer que c’est pour la France, et non pour l’Allemagne, qu’Iéna fut un désastre.
Laissant de côté ces influences indirectes des luttes de races, il en est de très immédiates et parfaitement appréciables, dont l’importance ne saurait être méconnue. Les dernières guerres ont mis l’Europe sous les armes. Quel en fut le résultat ? La ruine des finances, disent les statisticiens. Un relèvement sérieux du caractère des peuples, pourraient répondre les psychologues à ces honnêtes bureaucrates. Sans le régime militaire obligatoire auquel la population mâle de l’Europe est aujourd’hui soumise, l’anarchisme, le socialisme, et tous les dissolvants de la civilisation moderne eussent progressé à pas de géant. Les vieux fondements religieux sur lesquels s’édifièrent les sociétés modernes tombaient en ruine, et nous n’avions rien trouvé pour les remplacer.
Le régime militaire fut le maître qui nous enseigna un peu la patience, la fermeté, l’esprit de sacrifice et nous procura une sorte d’idéal provisoire. Seul, il a pu lutter contre l’égoïsme et la mollesse envahissant les peuples. C’est un impôt fort lourd que le service militaire, et rappelant les plus dures périodes du servage antique. Mais un impôt sans lequel les sociétés européennes deviendraient rapidement la proie des éléments barbares que chacune d’elles contient. Les dieux des vieux âges coûtaient moins cher sans doute, mais leur sceptre est tombé.
Cette influence morale du régime militaire sur le caractère des peuples a une telle importance qu’on ne saurait trop insister. Le maréchal de Moltke l’a mise en évidence dans ses Mémoires par le passage suivant, qui mérite d’être médité.
Les jeunes gens, dit-il, ne subissent que pendant un temps relativement court l’influence bienfaisante de l’école. Heureusement, chez nous, au moment où cesse l’instruction individuelle, commence l’éducation proprement dite, et aucune nation n’a reçu dans son ensemble une éducation comparable à celle que la nôtre a eue par le moyen du service militaire. On a dit que c’était le maître d’école qui avait remporté nos victoires. Mais la science