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sante que les lois. Il n’y eut jamais de peuple aussi respectueux des textes écrits que les Romains. « Nulle part cependant plus qu’à Rome, écrit justement Cruet, le droit sanctionné par la pratique judiciaire n’a aussi largement dépassé, aussi largement contredit le droit expressément écrit dans les textes législatifs. Cela n’empêche pas que ce droit national d’une société morte a été longtemps considéré comme le prototype d’une législation universelle et immortelle ! »

En fait, une société dont le droit n’évoluerait pas et resterait cristallisé dans des règles immuables cesserait bientôt d’exister.

Un tel cas d’ailleurs ne s’est jamais présenté. Le droit musulman lui-même, jadis fixé dans le Coran, a fini par en sortir presque entièrement. Comment une loi pourrait-elle rester stable, quand tout change autour d’elle ? À un moment donné, son application devient impossible. On peut continuer à respecter son texte, mais on ne l’observe plus. Les Romains vénéraient beaucoup la loi des XII tables, seulement ils ne l’appliquaient pas. Les musulmans respectent le Coran, mais le transforment complètement par leur interprétation.

Ainsi, par suite de l’évolution des coutumes, la jurisprudence évolue en dehors de la loi et parfois même contre elle. La loi n’a jamais été assez puissante pour lutter contre la coutume. « Si la vie de famille nous inclinait à l’inceste, écrit le professeur Durkheim, les défenses du législateur resteraient impuissantes. »

Rien n’est plus évident. Quel tribunal oserait aujourd’hui condamner aux travaux forcés pour meurtre, comme la loi l’y oblige, l’individu qui a tué en duel son adversaire ? La loi interdit l’avortement, mais le jury acquittant toujours la coupable le juge finira nécessairement par ne plus poursuivre. Il n’a pas, en effet, à nous imposer son droit, mais à subir celui que le sentiment social lui impose.

Sans la jurisprudence qui suit toutes les oscillations de la coutume, le code finirait par devenir un tissu d’iniquités. C’est la jurisprudence, notamment, qui affranchit la femme du marin disparu dans un lointain voyage du veuvage éternel auquel la loi écrite la condamne par suite de l’impossibilité pour elle de présenter l’acte de décès de