Les hommes de la Révolution étaient persuadés qu’une société se refait avec des institutions et ils finirent par déifier la raison au nom de laquelle étaient promulgués leurs décrets.
Bien des motifs ont contribué, chez les peuples dont la mentalité religieuse est très développée, à rechercher législativement les moyens de remédier aux maux qui les affligent. Ne pouvant plus demander de miracles au ciel, on les demande au législateur. Le pouvoir des lois a remplacé celui des dieux.
Ces miracles législatifs paraissent d’une réalisation facile, car si les raisons lointaines des choses sont malaisées à percevoir leurs causes fictives, très apparentes, semblent aisées à atteindre.
L’insuccès des lois votées sous la pression des volontés populaires n’ébranle nullement d’ailleurs la croyance en leur puissance. Elles gardent l’influence des dogmes religieux. Les prescriptions impératives et brèves des codes exercent toujours un prestige mystérieux. Comme les divinités, les lois ordonnent et n’expliquent pas. Leurs auteurs ont très bien compris qu’un pouvoir discuté n’est bientôt plus un pouvoir respecté. La vraie puissance ne réside pas, en effet, dans la force de celui qui commande, mais dans la soumission volontaire de celui qui obéit.
Cette idée, si répandue chez les peuples latins, que les organisations sociales se réforment avec des lois, est nous l’avons dit déjà, une des plus funestes erreurs qu’ait enregistrées l’histoire.Pour la défendre, des millions d’hommes sont morts misérablement, des cités florissantes sont tombées en ruines, de grands empires descendent la pente de la décadence. La fatale chimère est cependant plus puissante qu’elle ne le fut jamais.
Quelques rares philosophes ont bien essayé de montrer la dangereuse absurdité de cette doctrine, je l’ai moi-même tenté dans plusieurs ouvrages et notamment dans mon livre sur les Lois psychologiques de l’évolution des peuples. Mais que peuvent des écrits sur les impressions mobiles des foules ? Elles n’écoutent guère que les démagogues flattant servilement leurs instincts. Ne nous lassons pas cependant de répéter sans cesse les mêmes vérités. Les idées finissent quelquefois par rencontrer le terrain où elles peuvent germer.