son patron est un voleur et qu’il faut en incendier l’usine, il vous croira aisément. Expliquez-lui que le patron est obligé de réduire les salaires, parce que de petits hommes jaunes fabriquent, au fond de l’Asie, à bien meilleur marché, les mêmes produits, vous ne serez nullement écouté.
Le monde a été jusqu’ici bouleversé par des chimères. De grands empires furent détruits sous l’influence de convictions sentimentales, dont l’insignifiance nous paraît aujourd’hui extrême. N’espérons guère que la raison joue dans l’avenir un rôle qu’elle n’a pas su exercer dans le passé et apprêtons-nous à subir encore l’invincible puissance des chimères. Les illusions pénètrent lentement dans l’âme des foules, mais lorsqu’elles y sont implantées, c’est pour longtemps, et il est impossible d’en prévoir les ravages.
Dans un des premiers chapitres de cet ouvrage, j’ai taché de montrer que les violences de la Révolution résultèrent de ce que l’instinct de barbarie primitive, sommeillant toujours au fond de l’âme d’un peuple, avait été, grâce à certaines théories philosophiques, accepté comme genèse d’un droit nouveau. On crut agir au nom de la raison, l’invoquant sans cesse, alors qu’on luttait en réalité contre elle et que des instincts ancestraux, libérés de tout frein, étaient les seuls guides. La Terreur représente la transformation en droits d’instincts inférieurs. Elle fut l’effort de l’instinctif pour dominer le rationnel et non une domination du rationnel, comme se l’imaginèrent les personnages qui en furent les auteurs et les historiens qui la racontent.
Ce triomphe légal, d’instincts ataviques, était chose assez neuve dans l’histoire, car tout effort des sociétés, (effort indispensable pour leur permettre de subsister), fut constamment de refréner par la puissance des traditions, des coutumes et des lois, certains instincts naturels légués à l’homme par son animalité primitive. Il est possible de les dominer, (et un peuple est d’autant plus civilisé qu’il les domine davantage), mais on ne peut les détruire. Sous l’influence d’excitants divers, le socialisme par exemple, ils reparaissent facilement.
Les grands mouvements populaires ne sont jamais un résultat de la raison, mais le plus souvent une lutte contre la raison. Chercher à expliquer par la logique ration-