Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nuité dans l’effort, génératrice des succès durables.

Pour l’orateur politique, obligé de satisfaire aux besoins d’explications d’un public peu capable de réfléchir, les événements sont engendrés par des causes très simples, paraissant évidentes.

La vérité est cependant tout autre. Ce n’est nullement par l’évident, l’immédiat, le clair et le simple que s’expliquent les phénomènes historiques. Ils sont créés au contraire par le lointain et le complexe.

Et c’est pourquoi la faculté de prévoir les conséquences de leurs actes échappe si souvent aux hommes d’État actuels. S’ils ne prennent pas constamment leurs idées pour des faits, ils croient volontiers que leurs idées modifieront les faits et vivent trop exclusivement dans l’heure présente pour tâcher de prévoir un peu.

Or l’homme d’État incapable de prévision est, je le répète, un créateur de fatalités désastreuses. Si l’Angleterre se débat actuellement contre les immenses difficultés qu’entraîne la nécessité d’accroître considérablement ses impôts, pour augmenter sa flotte et lutter contre la menaçante suprématie de l’Allemagne, c’est parce que, il y a 40 ans, en 1870, ses gouvernants ne surent rien prévoir. Pour satisfaire des rancunes, qu’un véritable homme politique devrait ignorer, elle nous refusa, après la guerre franco-allemande, de favoriser un congrès qui eût limité les prétentions de l’Allemagne et changé l’avenir.

La crainte de voir se réunir ce congrès était le cauchemar de Bismarck. Il y pensait jour et nuit, dit-il dans ses Mémoires. Ce grand psychologue comprenait bien qu’un tel congrès eût réussi à "rogner le prix de ses victoires". C’est justement ce que fit, quelques années plus tard le congrès de Berlin, qui obligea les Russes, victorieux des Turcs, à renoncer à s’emparer des territoires convoités par eux.

Jamais en effet, et malgré nos défaites, un congrès n’aurait laissé troubler entièrement l’équilibre de l’Europe au profit d’une seule puissance. L’Angleterre, l’Autriche et la Russie n’avaient-elles pas un intérêt évident à empêcher la formation d’un État prépondérant au centre de l’Europe ? Les hommes d’État anglais expient aujourd’hui les fautes de prévision alors commises.

La destinée des peuples latins est devenue très incertaine aujourd’hui, parce que les politiciens, n’ayant chez