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Il éprouve toujours un sentiment de profonde humiliation, le voyageur français quittant nos colonies pour visiter celles d’autres Européens, Anglais et Hollandais notamment, qui se gardent soigneusement de nos grands principes. Quel merveilleux spectacle que ce gigantesque empire des Indes, où 250 millions d’indigènes sont gouvernés dans une paix profonde par un millier de fonctionnaires, appuyés d’une petite armée de 60.000 hommes, et qui se couvre de canaux, de chemins de fer, de travaux de toute sorte, sans réclamer un centime à la métropole ! Le prestige moral constitue la seule force de cette poignée de gouvernants, mais un prestige que nous n’avons jamais su obtenir dans nos colonies. Sans doute, ces millions d’indigènes n’ont point le suffrage universel, ils ne possèdent pas de conseils généraux et ne sont pas representés en Europe par des sénateurs et des députés. Ignorant nos institutions compliquées, ils s’administrent eux-mêmes, suivant leurs vieux usages, sous la haute et lointaine tutelle d’un nombre insignifiant d’Européens intervenant le moins possible dans leurs affaires.

Sont-ils plus malheureux que les indigènes de nos colonies, tiraillés en tous sens par nos milliers d’agents, pris dans l’engrenage de lois et de coutumes incompréhensibles pour eux ? À ceux qui le croiraient je conseille la visite des trois ou quatre petits villages, derniers vestiges de notre grand empire des Indes. Ils y trouveront des centaines de fonctionnaires français, dont le seul rôle possible est de bouleverser de fond en comble les antiques institutions hindoues et ils verront de quel poids pèse sur l’indigène ce que nous appelons le régime de la liberté, les discordes et les luttes intestines engendrées par nos méthodes chez une population jadis si pacifique, sans que tous nos sacrifices nous procurent même un peu de respect.

Pour comprendre la portée psychologique d’un système différent, visitez quelques lieues plus loin les mêmes populations placées sous la domination anglaise. Dès les premières minutes, vous serez frappé des égards de l’indigène pour ses conquérants, vous y verrez à quel point l’unique fonctionnaire surveillant d’un vaste district pénètre peu dans la vie publique ou privée des citoyens, respecte leurs institutions, leurs coutumes, leurs mœurs et leur laisse une liberté non pas fictive, mais réelle. Si je