de franciser un peuple conquis sont de dangereuses chimères. Laissons aux indigènes leurs coutumes, leurs institutions et leurs lois. N’essayons pas de leur imposer l’engrenage de notre administration compliquée, et ne conservons sur eux qu’une haute tutelle. Pour y arriver, réduisons énormément le nombre de nos fonctionnaires coloniaux. Exigeons d’eux une étude approfondie des mœurs, des usages et de la langue des indigènes. Assurons-leur surtout une situation considérable, capable de leur conférer le prestige nécessaire.
Ces projets de réformes, ou pour mieux dire de simplifications, je me borne à les énoncer d’une façon sommaire considérant leur développement comme inutile. Il faudra longtemps encore pour atteindre l’opinion publique. Les idées politiques actuelles, si contraires à celles que j’ai exposées, forment un courant qu’il n’est pas aisé de remonter. La chimérique entreprise d’assimilation à laquelle nous consacrons tant d’hommes et d’argent nous est dictée par des motifs de sentiments, sur lesquels la logique rationnelle reste impuissante. Cette dernière ne triomphe qu’au prix des plus cruelles expériences. Les catastrophes seules ont le pouvoir de faire jaillir la lumière dans les esprits chargés d’illusions.
On ne peut se demander sans douleur : est-il vraiment possible que, pour réaliser des rêves, aussi chimériques que les croyances religieuses auxquelles nos pères ont sacrifié tant de vies, nous persistions dans nos dangereux errements ? Est-il croyable qu’on rencontre encore des hommes d’État convaincus de notre mission d’assurer malgré eux, le bonheur des autres peuples ? Est-il admissible qu’on entende journellement des économistes prétendre transformer la constitution mentale d’une race telle que celle des Arabes, en "modifiant radicalement chez eux le système de la propriété collective et de la famille ?"
Songeons à ce que nous ont coûté quelques-unes de ces grandes théories humanitaires et simplistes si déplorablement ancrées dans notre esprit ! C’est en leur nom que nous avons versé des flots de sang pour la liberté ou l’unité de peuples devenus aujourd’hui nos pires ennemis. C’est pour elles que nous nous obstinons à franciser des populations jadis paisibles sous leurs antiques lois. Qu’avons-nous recueilli de nos utopiques entreprises, sinon des haines et d’incessantes guerres ?