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par mois. Aussitôt à la tête de ce revenu, il s’essaye à singer le gentleman européen, porte des chaussures, des lunettes cerclées d’or, devient membre d’un club indigène, fume des cigares, lit des journaux. Finalement il trouve son sort tout à fait déplorable avec une somme qui ferait vivre largement deux familles élevées dans les usages hindous.

La simple comparaison des besoins d’un Arabe d’Algérie et d’un colon européen, suffit à prouver combien deux races, parvenues à des degrés inégaux de civilisation, peuvent, sur le même sol, avoir des exigences différentes. La petite provision de graines nécessaire pour son couscous, de l’eau pure, une tente comme habitation, un burnous pour vêtement, voilà comblées toutes les aspirations de l’indigène. Combien plus compliqués les besoins de son voisin le colon européen, même appartenant aux couches sociales inférieures. Il lui faut une maison, de la viande, du vin, des vêtements variés. En un mot, le matériel de nécessités factices auquel l’a habitué le milieu européen.

De ces faits multiples, constatés en tous lieux, se dégage clairement cette loi psychologique : l’éducation européenne, appliquée à l’indigène, le rend profondément misérable parce qu’elle lui impose des idées nouvelles et un mode de vie raffiné sans lui procurer les moyens de la pratiquer. Elle détruit les legs héréditaires de son passé et le laisse désorienté en face du présent.

Devons-nous espérer que nos institutions et nôtre éducation européenne rapprocheront de nous les Orientaux distancés aujourd’hui par un si vaste abîme ? Les exemples que j’ai cités n’autorisent guère cette espérance, et la théorie vient à leur appui, en nous enseignant que la plus difficile transformation à accomplir chez un peuple est celle de ses sentiments héréditaires. Or c’est précisément la différence de leurs hérédités qui sépare si profondément l’Orient de l’Occident.

Sur ces sentiments nationaux, formés par les mêmes ambiances, les mêmes institutions, les mêmes croyances agissant depuis des siècles. Sur ces sentiments, dis-je, l’éducation demeure sans prise. Ils représentent, en effet, le passé d’une race, le résultat des expériences et des actions de toute une longue série de générations, les mobiles héréditaires de la conduite. Constituant l’âme d’un peuple, leur poids est considérable.