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Rien n’a pu l’ébranler, ce terrible dogme et nous ne cessons de l’appliquer rigoureusement chaque jour aux malheureux indigènes tombés entre nos mains et que nous conduisons ainsi à la haine et à la révolte.

Les journaux ont fourni récemment un nouvel exemple de cet aveuglement général en reproduisant quelques extraits d’une circulaire du gouverneur de la Côte d’Ivoire à ses administrateurs. Son résultat final a été le soulèvement du pays, le massacre de plusieurs officiers et la très coûteuse nécessité d’envoyer de la métropole, des troupes nombreuses pour rétablir l’ordre. Si les Anglais ou les Hollandais gouvernaient leurs colonies avec de tels principes, depuis longtemps elles seraient perdues.

Ce document, dont je vais donner les plus saillants passages, illustre nettement notre irréductible incapacité à comprendre que l’âme d’un peuple ne se transforme pas avec des décrets et que des institutions excellentes pour un peuple peuvent être très mauvaises pour un autre et, en tout cas, inapplicables toujours.


« Il faudra, écrit ce gouverneur, que nos sujets viennent au progrès malgré eux… C’est à l’autorité à obtenir ce qui serait refusé à la persuasion… Il faudra modifier du tout au tout la mentalité noire pour nous faire comprendre… Ce que je ne veux pas, c’est que nous fassions étalage d’une sensibilité sans résultat. Dussions-nous ne pas sembler tenir compte, dès l’abord, des désirs de l’indigène, il importe que nous suivions sans faiblesse l’unique voie susceptible de nous mener au but… Je ne crois nullement qu’il faille redouter les conséquences de notre action, même lorsque celle-ci ne respectera pas des usages dont le mieux qu’on en puisse penser est qu’ils sont opposés à tout progrès. »


Ce n’est pas la mentalité noire qu’il serait urgent de modifier (si la chose dépendait de notre volonté), mais celles des administrateurs capables de signer les lignes précédentes.

Quant à l’illusion du brave gouverneur « ne redoutant nullement les conséquences de son intervention », les événements lui ont donné une rude leçon qui, malheureusement, ne profitera guère. Le propre d’une croyance fut toujours de n’être modifiable ni par l’observation, ni par