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Malgré toutes les ressources de leurs laboratoires, les biologistes n’ont jamais réussi à transformer une seule espèce vivante. Les légères modifications extérieures que réussit à créer l’art de l’éleveur sont sans durée et sans force.

Est-il plus facile de transformer un organisme social qu’un être vivant ? La réponse affirmative à cette question a dirigé toute notre politique depuis plus d’un siècle et la dirige encore.

La possibilité de refaire les sociétés au moyen d’institutions nouvelles sembla toujours évidente aux révolutionnaires de tous les âges, ceux de notre grande Révolution surtout. Elle apparaît aussi certaine aux socialistes. Tous aspirent à rebâtir les sociétés sur des plans dictés par la raison pure.

Mais à mesure qu’elle progresse, la science contredit de plus en plus cette doctrine. Appuyée sur la biologie, la psychologie et l’histoire, elle montre que nos limites d’action sur une société sont fort restreintes, que les transformations profondes ne se réalisent jamais sans l’action du temps, que les institutions sont l’enveloppe extérieure d’une âme intérieure. Ces dernières constituent une sorte de vêtement capable de s’adapter à une forme intérieure mais impuissant à la créer, et c’est pourquoi des institutions excellentes pour un peuple peuvent être détestables pour un autre. Loin d’être le point de départ d’une évolution politique, une institution en est simplement le terme.

Certes, le rôle des institutions et des hommes sur les événements n’est pas nul. L’histoire le montre à chaque page, mais elle exagère leur puissance et ne s’aperçoit pas qu’ils sont le plus souvent l’éclosion d’un long passé. S’ils n’arrivent pas au moment nécessaire, leur action est simplement destructrice comme celle des conquérants.

Croire qu’on modifie l’âme d’un peuple en changeant ses institutions et ses lois est resté un dogme que nous aurons à combattre fréquemment dans cet ouvrage et dont il faudra bien revenir un jour.

Les peuples latins n’en sont pas revenus encore, et c’est ce qui fait leur faiblesse. Leurs illusions sur la puissance des institutions nous a coûté la plus sanglante révolution qu’ait connue l’histoire, la mort violente de plusieurs millions d’hommes, la décadence profonde de toutes nos colonies et les progrès menaçants du socialisme.