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duel, etc. Que de chapitres dignes de l’attention des psychologues et qui, cependant, ne les ont guère tentés. Ils seraient plus utiles que leurs vaines dissertations sur les catégories de Kant ou sur la nature de l’espace et du temps. Plus utiles, plus intéressants, mais beaucoup plus difficiles aussi.

Parmi les facteurs principaux des convictions populaires énumérées plus haut, il en est un, la contagion mentale, tellement important que nous devons en dire quelques mots. Elle est le fondamental élément de la propagation des mouvements dont je parlais en commençant : grève des postiers, insurrection de Barcelone, etc.

Ces mouvements, commencés par les meneurs quand diverses circonstances (un mécontentement général, par exemple), prédispose les esprits à une certaine réceptivité s’étendent très vite autour d’eux par le mécanisme de la contagion mentale.

Son rôle est prépondérant dans la plupart des phénomènes historiques. Sans elle, aucune des fondamentales croyances qui menèrent le monde christianisme, islamisme, bouddhisme, etc., n’aurait pu se répandre. La contagion mentale seule et jamais la raison entraîna leur propagation.

C’est encore la contagion mentale qui généralise les grandes révolutions, les mouvements d’opinion et tout ce qui constitue l’âme d’une époque. Son action semble plus considérable aujourd’hui qu’en aucun temps, parce que l’âge moderne est devenu l’ère de multitudes que les liens du passé ont cessé de retenir.


Pour bien discerner les vrais mobiles de la conduite des individus et des foules, il ne faut pas oublier que sentiments et intelligence sont, je l’ai dit déjà, hétérogènes. Régis par des lois fort différentes, ils n’ont pas de commune mesure. Cette notion m’a guidé dans plus d’un livre, et tout récemment encore l’éminent philosophe Ribot insistait sur sa capitale importance.

Nous nous obstinons cependant à traduire l’affectif en termes intellectuels. Sentiments et intelligence étant toujours mélangés sont du reste difficilement séparables. C’est seulement par des moyens détournés qu’on a pu dégager des états de conscience purement affectifs, c’est-à-dire vides de tout contenu intellectuel.