Page:Le Bon - Psychologie politique et défense sociale.djvu/111

Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout à fait de l’âme individuelle. Modes de penser, mobiles d’action, intérêts même, tout les sépare.

Nous ne retiendrons des caractères des foules que l’incapacité totale à raisonner ou à se laisser influencer par un raisonnement, le simplisme, l’émotivité et la crédulité. Les idées ne leur sont guère accessibles que traduites en formules brèves et évocatrices d’images :

Le capital, c’est un bourgeois paresseux et ventru, nourri de la sueur du peuple. L’État, c’est le gendarme et la troupe. Le cléricalisme, c’est le gouvernement des curés. Le socialisme, c’est un gouvernement qui fera rendre gorge aux bourgeois et permettra à l’ouvrier de boire et manger sans presque rien faire.

Les politiciens ont bien senti d’instinct l’impuissance des foules à se représenter plusieurs idées à la fois et l’utilité des formules violentes et claires. Au moment des élections, ils tâchent d’en trouver, pouvant servir, comme on dit, de tremplin électoral : le milliard des congrégations, le péril clérical, l’impôt sur le revenu, etc., ont servi tour à tour.

Les Anglais sont passés maîtres dans cette condensation, utilisant surtout l’action impressionnante de l’image. Leurs dernières élections prouvèrent la puissance des formules simples et affirmatives. L’Angleterre fut, à un certain moment, couverte d’affiches illustrées, dépourvues de ces filandreuses explications dont abusent les candidats latins. Toute la théorie du parti unioniste était synthétisée dans quelques formules comme celle-ci : voter pour les radicaux, c’est voter contre la puissance navale de l’Angleterre. Assertion terrible dans un pays où le dernier des manœuvres considère comme un dogme religieux intangible la nécessité de la supériorité navale de la Grande Bretagne.

Des images accentuaient encore la force impérative de ces formules. Une des plus impressionnantes et qui certainement, détermina bien des votes, fut une grande affiche divisée en deux parties. À gauche, au-dessous de cette simple date : 1900, un immense cuirassé totalisant la flotte anglaise. À côté, un tout petit bateau représentant la flotte allemande. À droite de l’affiche, sous cette indication 1910, les rapports sont inversés, le petit bateau allemand est devenu un grand cuirassé presque aussi important que le géant anglais. Le péril de l’Angleterre appa-