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salaires, mais généralement hostiles aux travailleurs et favorable aux patrons. Tout ce qui arrive de désagréable à l’ouvrier est nécessairement la faute du Gouvernement, et c’est pourquoi il accepte facilement la proposition d’en changer. Il se soucie fort peu d’ailleurs de la nature de ce Gouvernement et tient seulement pour certain qu’il en faut un. Le bon Gouvernement est celui qui protège les ouvriers, fait monter les salaires et moleste les patrons. Si l’ouvrier a de la sympathie pour le socialisme, c’est qu’il voit en lui un Gouvernement qui augmenterait les salaires tout en réduisant les heures de travail. S’il pouvait se représenter à quel système d’enrégimentation et de surveillance les socialistes se proposent de le soumettre dans la société rêvée par eux, il deviendrait aussitôt un irréconciliable ennemi des nouvelles doctrines.

Les théoriciens du socialisme croient bien connaître l’âme des classes ouvrières, et en réalité ils la comprennent très peu. Ils s’imaginent que c’est dans l’argumentation et la discussion que se trouvent les éléments de la persuasion. Elle a en réalité de bien autres sources. Que reste-t-il de tous leurs discours dans l’âme populaire ? Peu de chose, en vérité. Quand on interroge habilement un ouvrier qui se dit socialiste, et qu’on laisse de côté les lambeaux de phrases humanitaires toutes faites, les imprécations banales contre le capital qu’il répète machinalement, on voit alors que son concept socialiste est une rêverie vague, très analogue à celle des premiers chrétiens. Dans un avenir lointain, trop lointain pour l’impressionner beaucoup, il entrevoit la venue du royaume des pauvres, (pauvres de fortune et pauvres d’esprit) royaume dont seront soigneusement expulsés les riches, riches d’argent ou riches d’intelligence. Quant aux moyens de réaliser ce rêve lointain, les ouvriers n’y songent guère. Les théoriciens, qui comprennent très peu leur âme, ne soupçonnent pas que c’est parmi les couches populaires que le socialisme rencontrera un jour ses plus irréductibles ennemis, lorsqu’il voudra passer de la théorie à la pratique. Les ouvriers, (les paysans plus encore), ont l’instinct de la propriété au moins aussi développé que les bourgeois. Ils veulent bien accroître ce qu’ils possèdent, mais entendent dispo-