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gênant parfois beaucoup, des camarades dans l’embarras, et leur rendre à chaque instant une foule de petits services que les gens du monde ne se rendraient jamais dans les mêmes circonstances. Il n’a aucun égoïsme et, par ce côté, se montre fort supérieur au bourgeois et à l’employé, dont l’égoïsme est au contraire très développé. A ce point de vue, il mérite une sympathie dont les bourgeois ne sont pas toujours dignes.

Le développement de l’égoïsme dans les classes supérieures semble la conséquence forcée de leur richesse et de leur culture, et proportionnel à ce degré de richesse et de culture. Le pauvre seul est vraiment secourable, parce que seul il peut réellement sentir ce qu’est la misère.

Cette absence d’égoïsme, jointe à sa facilité de s’enthousiasmer pour les individus qui le charment, rend l’ouvrier apte à se dévouer, sinon pour le triomphe d’une idée, au moins pour les meneurs qui ont conquis son coeur. L’aventure boulangiste en fournit un instructif exemple.

L’ouvrier parisien raille volontiers les choses de la religion, mais au fond il a pour elles un respect inconscient. Ses railleries ne s’adressent jamais à la religion comme croyance, mais au clergé qu’il considère un peu comme une sorte de branche du Gouvernement. Les mariages et les enterrements sans l’assistance de l’Église sont rares dans la classe ouvrière parisienne. Marié uniquement à la mairie, l’ouvrier se croirait toujours mal marié. Ses instincts religieux (considérés comme tendance à se laisser dominer par un credo quelconque, politique, religieux ou social), sont fort tenaces. De tels instincts constitueront un jour un élément de succès en faveur du socialisme, qui n’est, en réalité, qu’un credo nouveau. Si le socialisme réussit à se propager chez les ouvriers, ce ne sera nullement, comme le croient les théoriciens, par les satisfactions qu’il promet, mais par les dévouements désintéressés que ses apôtres sauraient faire naître.

Les conceptions politiques de l’ouvrier sont fort rudimentaires et d’un simplisme extrême. Le Gouvernement représente pour lui une puissance mystérieuse absolue, pouvant décréter à son gré la hausse ou la baisse des