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de ses camarades : de là ses fréquentations dans la boutique du marchand de vin, véritable salon du peuple. Ce n’est pas le goût de l’alcool qui l’y conduit, comme on le dit souvent. Boire est un prétexte qui peut devenir ensuite une habitude, mais ce n’est pas le besoin de l’alcool qui le pousse au cabaret.

S’il se soustrait à son intérieur par le cabaret, comme le bourgeois s’y soustrait par le club, c’est que cet intérieur n’a rien de bien attrayant. La femme de l’ouvrier, sa ménagère comme il l’appelle, a d’incontestables qualités d’économie et de prévoyance, mais ne s’occupe que de ses enfants, du prix des choses et des achats. Totalement réfractaire aux idées générales et aux discussions, elle ne s’associe à ces dernières que quand le porte-monnaie et le buffet sont vides. Ce n’est jamais elle qui voterait un grève uniquement pour soutenir un principe.

La fréquentation des cabarets, des théâtres, des réunions publiques, est pour l’ouvrier parisien la conséquence de son besoin d’excitation, d’expansion, d’agitation, de griseries de paroles, de discussions bruyantes. Sans doute il ferait mieux, pour plaire aux moralistes, de rester bien sagement dans sa chambre. Mais il faudrait pour cela qu’il eût, au lieu de sa constitution mentale d’ouvrier, le cerveau d’un moraliste.

Les idées politiques mènent parfois l’ouvrier, mais elles ne l’absorbent guère. Il devient aisément pour un instant un révolté, un violent, mais ne reste jamais un sectaire. Il est trop impulsif pour qu’une idée quelconque puisse se fixer en lui. Son antipathie à l’égard du bourgeois est le plus souvent un sentiment superficiel et de convention provenant simplement de ce que le bourgeois est plus riche et mieux habillé que lui.

Il faut le bien peu connaître pour le supposer capable de poursuivre avec ardeur la réalisation d’un idéal quelconque, socialiste ou autre. L’idéal de l’ouvrier, quand par hasard il en a un, est tout ce qu’il y a de moins révolutionnaire, de moins socialiste, et tout ce qu’il y a de plus bourgeois. C’est toujours la petite maison à la campagne, à la condition qu’elle ne soit pas située trop loin du marchand de vin.

Il possède un grand fond de confiance et de générosité. On le voit héberger avec empressement, et en se