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L’employé de bureau méprise l’artisan, mais l’artisan méprise beaucoup plus encore l’employé, qu’il considère comme un paresseux et un incapable. Il se sait moins bien habillé, moins raffiné dans ses manières, mais se croit fort supérieur à lui par l’énergie, l’activité, l’intelligence, et le plus souvent il l’est en effet. L’artisan avance par son mérite seul, l’employé par son ancienneté. L’employé ne vaut que par l’ensemble dont il fait partie. L’artisan représente une unité ayant sa valeur par elle-même. Si l’artisan connaît bien son métier, il est toujours sûr de trouver du travail partout, alors que l’employé n’en est pas certain. Aussi ce dernier tremble-t-il toujours devant les chefs qui peuvent lui faire perdre son emploi. L’artisan a beaucoup plus de dignité et d’indépendance. L’employé est incapable de se mouvoir en dehors des limites étroites d’un règlement, et toutes ses fonctions consistent à observer des règlements. L’artisan est au contraire chaque jour aux prises avec des difficultés nouvelles, qui stimulent son initiative et son raisonnement. Enfin l’artisan étant généralement mieux payé que l’employé et n’ayant pas les mêmes nécessités de décorum extérieur, peut mener une vie bien plus large. A vingt-cinq ans, un artisan un peu capable gagne sans difficulté une somme qu’un employé de commerce ou d’administration ne recevra guère qu’après vingt années de service. C’est l’employé et non l’ouvrier qui est le véritable paria moderne, et c’est pourquoi le premier est toujours ardemment socialiste.

C’est d’ailleurs un socialiste assez peu dangereux, car ne pouvant guère se mettre en grève ou se syndiquer et craignant toujours de perdre sa place, il est obligé de dissimuler ses opinions.

Les caractères psychologiques dans le détail desquels je vais entrer maintenant sont assez généraux pour être attribuables à la plupart des artisans parisiens de même race. Ils cesseraient de l’être pour des artisans de races différentes, tant il est vrai que les influences de races sont fort supérieures à celles de milieux. Je montrerai dans une autre partie de cet ouvrage combien différent des ouvriers anglais et irlandais travaillant dans le même atelier, c’est-à-dire soumis à des conditions de milieu identiques. Nous le verrions facilement aussi à Paris si