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quent, réduit de plus en plus la dose d’intelligence nécessaire pour l’exécuter. Le rôle de l’ouvrier d’usine ne consiste guère qu’à diriger toujours dans le même sens le passage d’un fil ou à pousser dans des engrenages des plaques de métal qui se plissent, s’emboutissent, s’estampent toutes seules. Des objets courants, par exemple les vulgaires lanternes servant à éclairer les tranchées et valant cinq sous, se composent d’une cinquantaine de pièces faites chacune pour un ouvrier spécial qui ne fera pas autre chose durant toute sa vie. Exécutant un travail facile, le manœuvre est fatalement mal payé et d’autant plus qu’il est en concurrence avec des femmes et des enfants aussi capables que lui d’exécuter la même besogne. Ne sachant faire que cet unique travail, le manœuvre est forcément dans la dépendance étroite du chef d’usine qui l’emploie.

La classe des manœuvres est celle sur laquelle le socialisme peut le plus compter, d’abord parce qu’elle est la moins intelligente, ensuite parce qu’étant la moins heureuse elle se passionne forcément pour toutes les doctrines qui lui promettent d’améliorer son sort. Elle ne prendra jamais l’initiative d’une révolution, mais elle suivra docilement toutes les révolutions. A côté, ou plutôt très au-dessus de cette catégorie d’ouvriers, se trouve celle des artisans. Elle comprend les travailleurs occupés aux travaux du bâtiment, de la mécanique, des arts industriels, de la petite industrie charpentiers, ébénistes, ajusteurs, zingueurs, fondeurs, électriciens, peintres, décorateurs, maçons, etc. Ils ont chaque jour à faire un travail nouveau, à surmonter des difficultés qui les obligent à réfléchir et développent leur intelligence.

Cette catégorie est la plus répandue à Paris. C’est elle que j’aurai surtout en vue dans l’étude qui va suivre. Sa psychologie est d’autant plus intéressante que les caractères de cette classe sont très nets, ce qui n’est pas du tout le cas pour beaucoup d’autres catégories sociales. L’artisan parisien constitue une caste dont il essaie rarement de sortir. Fils d’ouvrier, il tient à ce que ses fils restent ouvriers, tandis que la rêve du paysan et du petit employé est au contraire de faire de leurs fils des bourgeois.