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chissement. Sous la domination du capitaliste, le travailleur peut au moins rêver d’être capitaliste à son tour, et il le devient quelquefois. Quel rêve pourrait-il poursuivre sous la tyrannie anonyme et forcément despotique d’un État niveleur, prévoyant tous ses besoins et dirigeant toutes ses volontés ? Monsieur Bourdeau fait remarquer que l’organisation collectiviste ressemblerait assez à celle des jésuites du Paraguay. Ne ressemblerait-elle pas plutôt à l’organisation des nègres sur les plantations à l’époque de l’esclavage ?

Si aveuglés qu’ils puissent être par leurs chimères, et si convaincus qu’ils soient de la puissance des institutions contre les lois économiques, les plus intelligents des socialistes n’ont pas méconnu que les grosses objections à opposer à leur système sont ces terribles inégalités naturelles, contre lesquelles aucune récrimination n’a jamais pu prévaloir. A moins de massacrer systématiquement, à chaque génération, les individus dépassant, si peu que ce soit, le niveau de la plus humble moyenne, les inégalités sociales, filles des inégalités mentales, seraient vite rétablies.

Les théoriciens combattent cette objection en assurant que, grâce au nouveau milieu social artificiellement créé, les capacités s’égaliseraient bien vite, et que le stimulant de l’intérêt privé, qui a été jusqu’ici le grand mobile de l’homme et la source de tous les progrès, deviendrait inutile et serait remplacé par la formation subite d’instincts altruistes qui amèneraient l’individu à se dévouer aux intérêts collectifs.

On ne peut nier que les religions aient (au moins pendant les courtes périodes de foi ardente qui ont suivi leur naissance), obtenu quelques résultats analogues. Mais elles avaient le ciel à offrir à leurs croyants, avec une vie éternelle de récompenses, alors que les socialistes ne proposent à leurs adeptes, en échange du sacrifice de leur liberté, qu’un enfer de servitude et de bassesse sans espoir.

Supprimer les effets des inégalités naturelles est théoriquement facile, mais supprimer ces inégalités elles-mêmes sera toujours impossible. Elles font, avec la vieillesse et la mort, partie des fatalités éternelles que l’homme doit subir.