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ainsi d’ailleurs aux aspirations de tous les philosophes de l’époque.

Le développement de l’individualisme a nécessairement pour conséquence de laisser l’individu isolé au milieu d’une compétition ardente d’appétits. Des races jeunes et vigoureuses, et où les inégalités mentales entre les individus ne sont pas trop grandes, telles que les Anglo-Saxons, s’accommodent très bien d’un tel régime. Par l’association, les ouvriers anglais ou américains savent parfaitement lutter contre les exigences du capital, et ne pas se laisser tyranniser par lui. Chaque intérêt a su ainsi se faire place. Mais chez des races âgées, dont les siècles et le système d’éducation ont usé l’initiative, les conséquences du développement de l’individualisme ont fini par devenir très dures. Les philosophes du dernier siècle et la Révolution, en brisant, ou en achevant de briser tous les liens religieux et sociaux qui servaient à l’homme de soutiens et l’appuyaient sur une base puissante, que cette base fût l’Église, la famille, la caste ou la corporation, ont cru certainement faire une œuvre essentiellement démocratique. Ce qu’ils ont favorisé finalement, sans le prévoir, c’est la naissance d’une aristocratie financière d’une puissance formidable,régnant sur une poussière d’individus sans défense et sans solidarité. Le seigneur féodal ne menait pas ses cerfs plus durement que le seigneur industriel moderne, roi d’une usine, ne conduit parfois ses mercenaires. Ceux ci jouissent théoriquement de toutes les libertés, et théoriquement encore, ils sont les égaux de leur maître. Pratiquement, ils sentent peser sur eux, au moins à l’état de menace, les lourdes chaînes de la dépendance et la crainte de la misère.

L’idée de remédier à ces conséquences imprévues de la Révolution devait nécessairement germer, et les adversaires de l’individualisme n’ont pas manqué de bonnes raisons pour le combattre. Il leur a été facile de soutenir que l’organisme social est plus important que l’organisme individuel et que l’intérêt du second doit céder à celui du premier. Que les faibles, les incapables, ont le droit d’être protégés, et qu’il faut corriger par une répartition nouvelle de la fortune, faite par la société elle-même, les inégalités que la nature a créées.