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rence, une lutte incessante, mère de tout progrès, dans laquelle ne peuvent triompher que les plus capables et où les plus faibles sont, comme dans la nature, condamnés à l’écrasement. Les forts peuvent seuls supporter l’isolement et ne compter que sur eux-mêmes. Les faibles ne le peuvent pas. Plutôt que l’isolement et le défaut d’appui, ils préfèrent la servitude, alors même que cette servitude est très dure. Les corporations et les castes, détruites par la Révolution, formaient jadis la trame qui servait a l’homme de soutien dans la vie. Et il est bien évident qu’elles correspondaient à une nécessité psychologique, puisqu’elles renaissent aujourd’hui de toutes parts sous des noms divers et notamment sous celui de syndicats. Ces syndicats permettent à l’individu de réduire au minimum son effort, alors que l’individualisme l’oblige à porter au maximum cet effort. Isolé, le prolétaire n’est rien et ne peut rien ; syndiqué, il devient une puissance redoutable. Si le syndicat ne peut lui donner la capacité et l’intelligence, il lui donne au moins la force et ne lui ôte qu’une liberté dont il ne saurait que faire.

On a reproché à la Révolution d’avoir développé l’individualisme d’une façon exagérée. Mais ce reproche n’est pas très exact. Il y a loin de la forme d’individualisme qu’elle a fait prévaloir à l’individualisme que pratiquent certains peuples, les Anglo-Saxons par exemple. L’idéal révolutionnaire était de briser les corporations, les groupements, de ramener tous les individus à un type commun, et d’absorber tous ces individus, ainsi dissociés de leur groupe, sous la tutelle d’un État fortement centralisé. Rien n’est plus opposé à l’individualisme anglo-saxon, qui favorise les groupements des individus, obtient tout par ces groupements, et réduit à d’étroites limites l’action de l'État.

L’oeuvre de la Révolution a été bien moins révolutionnaire qu’on ne le croit généralement. En exagérant la centralisation et l’absorption par l'État, elle n’a fait que continuer une tradition latine enracinée par des siècles de monarchie, et suivie également par tous les Gouvernements. En brisant les corporations politiques, ouvrières, religieuses ou autres, elle a rendu plus complète encore cette centralisation, cette absorption, et obéi