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hors de l’atteinte immédiate de nos volontés. La faculté destructive est au contraire à notre portée. La destruction d’une société peut être fort rapide, mais sa reconstitution est toujours très lente. Il faut parfois à l’homme des siècles d’efforts pour rebâtir péniblement ce qu’il a détruit en un jour.

Si nous voulons comprendre l’influence profonde exercée par le socialisme moderne, il ne faut pas examiner ses dogmes. Quand on recherche les causes de son succès, on constate que ce succès est tout à fait étranger aux théories que ces dogmes proposent ou aux négations qu’ils imposent. Comme les religions, dont il tend de plus en plus à prendre les allures, le socialisme se propage tout autrement que par des raisons.

Très faible quand il essaie de discuter et de s’appuyer sur des arguments économiques, il devient au contraire très fort quand il reste dans le domaine des affirmations, des rêveries et des promesses chimériques. Il serait même plus redoutable encore s’il n’en sortait pas.

Grâce à ses promesses de régénération, grâce à l’espoir qu’il fait luire devant tous les déshérites de la vie, le socialisme arrive à constituer une croyance à forme religieuse beaucoup plus qu’une doctrine. Or la grande force des croyances, quand elles tendent à revêtir cette forme religieuse dont nous avons étudié le mécanisme ailleurs, c’est que leur propagation est indépendante de la part de vérité ou d’erreur qu’elles peuvent contenir.

Dès qu’une croyance est fixée dans les âmes, son absurdité n’apparaît plus, la raison ne l’atteint plus. Le temps seul peut l’user. Les plus puissants penseurs de l’humanité, un Leibniz, un Descartes, un Newton, se sont inclinés sans murmure devant des dogmes religieux dont la raison leur eût vite montré la faiblesse s’ils avaient pu les soumettre au contrôle de la critique. Mais ce qui est entré dans le domaine du sentiment ne peut plus être touché par la discussion. Les religions, n’agissant que sur les sentiments, ne sauraient être ébranlées par des arguments, et c’est pourquoi leur pouvoir sur les âmes a toujours été si absolu.

L’âge moderne représente une de ces périodes de transition où les vieilles croyances ont perdu leur empire et où celles qui doivent les remplacer ne sont pas éta-