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PSYCHOLOGIE DES FOULES

rience. Plusieurs philosophes éminents, Herbert Spencer entre autres, n’ont pas eu de peine à montrer que l’instruction ne rend l’homme ni plus moral ni plus heureux, qu’elle ne change pas ses instincts et ses passions héréditaires ; qu’elle est parfois – pour peu qu’elle soit mal dirigée – beaucoup plus pernicieuse qu’utile. Les statisticiens sont venus confirmer ces vues en nous disant que la criminalité augmente avec la généralisation de l’instruction, ou tout au moins d’une certaine instruction ; que les pires ennemis de la société, les anarchistes, se recrutent souvent parmi les lauréats des écoles ; et, dans un travail récent, un magistrat distingué, M. Adolphe Guillot, faisait remarquer qu’on compte maintenant 3.000 criminels lettrés contre 1.000 illettrés, et que, en cinquante ans, la criminalité est passée de 227 pour 400.000 habitants, à 552, soit une augmentation de 133 p. 100. Il a noté également avec tous ses collègues que la criminalité augmente surtout chez les jeunes gens pour lesquels l’école gratuite et obligatoire a, comme on sait, remplacé le patronat.

Ce n’est pas certes, et personne ne l’a jamais soutenu, que l’instruction bien dirigée ne puisse donner des résultats pratiques fort utiles, sinon pour élever la moralité, au moins pour développer les capacités professionnelles. Malheureusement les peuples latins, surtout depuis vingt-cinq ans, ont basé leurs systèmes d’instruction sur des principes très erronés, et, malgré les observations des esprits les plus éminents, tels que Bréal, Fustel de Coulanges, Taine et bien d’autres, ils persistent dans leurs lamentables erreurs. J’ai moi-même, dans un ouvrage déjà ancien, montré que notre éducation actuelle transforme en ennemis de la société