Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.
77
FACTEURS LOINTAINS DES CROYANCES

passage que devraient apprendre par cœur les politiciens de tous les pays latins. Après avoir montré tout le bien qu’ont pu faire des lois qui semblent, au point de vue de la raison pure, un chaos d’absurdités et de contradictions, il compare les douzaines de constitutions, mortes dans les convulsions, des peuples latins de l’Europe et de l’Amérique avec celle de l’Angleterre, et fait voir que cette dernière n’a été changée que très lentement, par parties, sous l’influence de nécessités immédiates et jamais de raisonnements spéculatifs. « Ne point s’inquiéter de la symétrie, et s’inquiéter beaucoup de l’utilité ; n’ôter jamais une anomalie uniquement parce qu’elle est une anomalie ; ne jamais innover si ce n’est lorsque quelque malaise se fait sentir, et alors innover juste assez pour se débarrasser du malaise ; n’établir jamais une proposition plus large que le cas particulier auquel on remédie ; telles sont les règles qui, depuis l’âge de Jean jusqu’à l’âge de Victoria, ont généralement guidé les délibérations de nos 250 parlements. »

Il faudrait prendre une à une les lois, les institutions de chaque peuple, pour montrer à quel point elles sont l’expression des besoins de leur race, et ne sauraient pour cette raison être violemment transformées. On peut disserter philosophiquement, par exemple, sur les avantages et les inconvénients de la centralisation ; mais quand nous voyons un peuple, composé de races très diverses, consacrer mille ans d’efforts pour arriver progressivement à cette centralisation ; quand nous constatons qu’une grande révolution ayant pour but de briser toutes les institutions du passé, a été forcée non seulement de respecter cette centralisation, et l’a exagérer encore,