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IDÉES, RAISONNEMENTS ET IMAGINATION

mental des foules, et surtout de la facilité avec laquelle on les suggestionne. L’irréel a presque autant d’action sur elles que le réel. Elles ont une tendance évidente à ne pas les différencier.

C’est sur l’imagination populaire qu’est fondée la puissance des conquérants et la force des États. C’est surtout en agissant sur elle qu’on entraîne les foules. Tous les grands faits historiques, la création du Bouddhisme, du Christianisme, de l’Islamisme, la Réforme, la Révolution, et, de nos jours, l’invasion menaçante du Socialisme, sont les conséquences directes ou lointaines d’impressions fortes produites sur l’imagination des foules.

Aussi, tous les grands hommes d’État de tous les âges et de tous les pays, y compris les plus absolus despotes, ont-ils considéré l’imagination populaire comme la base de leur puissance, et jamais ils n’ont essayé de gouverner contre elle. « C’est en me faisant catholique, disait Napoléon au Conseil d’État, que j’ai fini la guerre de Vendée ; en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les prêtres en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon. » Jamais, peut-être, depuis Alexandre et César, aucun grand homme n’a mieux su comment l’imagination des foules doit être impressionnée. Sa préoccupation constante fut de la frapper. Il y songeait dans ses victoires, dans ses harangues, dans ses discours, dans tous ses actes. À son lit de mort il y songeait encore.

Comment impressionne-t-on l’imagination des foules ? Nous le verrons bientôt. Bornons-nous, pour le moment, à dire que ce n’est jamais en essayant d’agir sur l’intelligence et la raison, c’est-à-dire par voie de démonstra-