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IDÉES, RAISONNEMENTS ET IMAGINATION

irrésistible force quand elles y furent établies. L’élan d’un peuple entier vers la conquête de l’égalité sociale, vers la réalisation de droits abstraits et de libertés idéales, fit chanceler tous les trônes et bouleversa profondément le monde occidental. Pendant vingt ans les peuples se précipitèrent les uns sur les autres, et l’Europe connut des hécatombes qui eussent effrayé Gengiskhan et Tamerlan. Jamais le monde ne vit à un tel degré ce que peut produire le déchaînement d’une idée.

Il leur faut bien longtemps, aux idées, pour s’établir dans l’âme des foules, mais il ne leur faut pas moins de temps pour en sortir. Aussi les foules sont-elles toujours, au point de vue des idées, en retard de plusieurs générations sur les savants et les philosophes. Tous les hommes d’État savent bien aujourd’hui ce que contiennent d’erroné les idées fondamentales que je citais à l’instant, mais comme leur influence est très puissante encore, ils sont obligés de gouverner suivant des principes à la vérité desquels ils ne croient plus.


§ 2. — LES RAISONNEMENTS DES FOULES

On ne peut dire d’une façon tout à fait absolue que les foules ne raisonnent pas et ne sont pas influençables par des raisonnements. Mais les arguments quelles emploient et ceux qui peuvent agir sur elles sont, au point de vue logique, d’un ordre tellement inférieur que c’est seulement par voie d’analogie qu’on peut les qualifier de raisonnements.

Les raisonnements inférieurs des foules sont, comme les raisonnements élevés, basés sur des associations ;