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SENTIMENTS ET MORALITÉ DES FOULES

faible, la foule se courbe avec servilité devant une autorité forte. Si la force de l’autorité est intermittente, la foule, obéissant toujours à ses sentiments extrêmes, passe alternativement de l’anarchie à la servitude, et de la servitude à l’anarchie.

Ce serait d’ailleurs bien méconnaître la psychologie des foules que de croire à la prédominance de leurs instincts révolutionnaires. Leurs violences seules nous illusionnent sur ce point. Leurs explosions de révolte et de destruction sont toujours très éphémères. Les foules sont trop régies par l’inconscient, et trop soumises par conséquent à l’influence d’hérédités séculaires, pour n’être pas extrêmement conservatrices. Abandonnées à elles-mêmes, elles sont bientôt lasses de leurs désordres et se dirigent d’instinct vers la servitude. Ce furent les plus fiers et les plus intraitables des Jacobins qui acclamèrent le plus énergiquement Bonaparte, quand il supprima toutes les libertés et fit durement sentir sa main de fer.

Il est difficile de comprendre l’histoire, celle des révolutions populaires surtout, quand on ne se rend pas bien compte des instincts profondément conservateurs des foules. Elles veulent bien changer les noms de leurs institutions, et elles accomplissent parfois même de violentes révolutions pour obtenir ces changements ; mais le fond de ces institutions est trop l’expression des besoins héréditaires de la race pour qu’elles n’y reviennent pas toujours. Leur mobilité incessante ne porte que sur les choses tout à fait superficielles. En fait, elles ont des instincts conservateurs aussi irréductibles que ceux de tous les primitifs. Leur respect fétichiste pour les traditions est absolu, leur horreur inconsciente de