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PSYCHOLOGIE DES FOULES

sive, et nous avons montré combien, dans toute agglomération humaine, une suggestion est contagieuse ; ce qui explique l’orientation rapide des sentiments dans un sens déterminé.

Si neutre qu’on la suppose, la foule se trouve le plus souvent dans cet état d’attention expectante qui rend la suggestion facile. La première suggestion formulée qui surgit s’impose immédiatement par contagion à tous les cerveaux, et aussitôt l’orientation s’établit. Comme chez tous les êtres suggestionnés, l’idée qui a envahi le cerveau tend à se transformer en acte. Qu’il s’agisse d’un palais à incendier ou d’un acte de dévouement à accomplir, la foule s’y prête avec la même facilité. Tout dépendra de la nature de l’excitant, et non plus, comme chez l’être isolé, des rapports existant entre l’acte suggéré et la somme de raison qui peut être opposée à sa réalisation.

Aussi, errant toujours sur les limites de l’inconscience, subissant aisément toutes les suggestions, ayant toute la violence de sentiments propre aux êtres qui ne peuvent faire appel aux influences de la raison, dépourvue de tout esprit critique, la foule ne peut qu’être d’une crédulité excessive. L’invraisemblable n’existe pas pour elle, et il faut bien se le rappeler pour comprendre la facilité avec laquelle se créent et se propagent les légendes et les récits les plus invraisemblables[1].

  1. Les personnes qui ont assisté au siège de Paris ont vu de nombreux exemples de cette crédulité des foules aux choses les plus invraisemblables. Une bougie allumée à un étage supérieur était considérée aussitôt comme un signal fait aux assiégeants, bien qu’il fût évident, après deux