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CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DES FOULES

les hommes les plus éminents ne dépassent que bien rarement le niveau des individus les plus ordinaires. Entre un grand mathématicien et son bottier il peut exister un abîme au point de vue intellectuel, mais au point de vue du caractère la différence est le plus souvent nulle ou très faible.

Or ce sont précisément ces qualités générales du caractère, régies par l’inconscient et que la plupart des individus normaux d’une race possèdent à peu près au même degré, qui, dans les foules, sont mises en commun. Dans l’âme collective, les aptitudes intellectuelles des individus, et par conséquent leur individualité, s’effacent. L’hétérogène se noie dans l’homogène, et les qualités inconscientes dominent.

C’est justement cette mise en commun de qualités ordinaires qui nous explique pourquoi les foules ne sauraient jamais accomplir d’actes exigeant une intelligence élevée. Les décisions d’intérêt général prises par une assemblée d’hommes distingués, mais de spécialités différentes, ne sont pas sensiblement supérieures aux décisions que prendrait une réunion d’imbéciles. Ils ne peuvent mettre en commun en effet que ces qualités médiocres que tout le monde possède. Dans les foules, c’est la bêtise et non l’esprit, qui s’accumule. Ce n’est pas tout le monde, comme on le répète si souvent, qui a plus d’esprit que Voltaire, c’est certainement Voltaire qui a plus d’esprit que tout le monde, si par « tout le monde » il faut entendre les foules.

Mais si les individus en foule se bornaient à mettre en commun les qualités ordinaires dont chacun d’eux a sa part, il y aurait simplement moyenne, et non, comme nous l’avons dit, création de caractères nouveaux.