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la maîtresse pièce de la machine politique. La France est aujourd’hui gouvernée par les comités[1].

Aussi n’est-il pas trop difficile d’agir sur eux, pour peu que le candidat soit acceptable et possède des ressources suffisantes. D’après les aveux des donateurs, 3 millions suffirent pour obtenir les élections multiples du général Boulanger.

Telle est la psychologie des foules électorales. Elle est identique à celle des autres foules. Ni meilleure ni pire.

Aussi ne tirerai-je de ce qui précède aucune conclusion contre le suffrage universel. Si j’avais à décider de son sort, je le conserverais tel qu’il est, pour des motifs pratiques qui découlent précisément de notre étude de la psychologie des foules, et que pour cette raison je vais exposer.

Sans doute, les inconvénients du suffrage universel sont trop visibles pour être méconnus. On ne saurait contester que les civilisations ont été l’œuvre d’une petite minorité d’esprits supérieurs constituant la pointe d’une

  1. Les comités, quels que soient leurs noms : clubs, syndicats, etc., constituent peut-être le plus redoutable danger de la puissance des foules ; Ils représentent, en effet, la forme la plus impersonnelle, et, par conséquent, la plus oppressive de la tyrannie. Les meneurs qui dirigent les comités étant censés parler et agir au nom d’une collectivité sont dégagés de toute responsabilité et peuvent tout se permettre. Le tyran le plus farouche n’eût jamais osé rêver les proscriptions ordonnées par les comités révolutionnaires. Ils avaient, dit Barras, décimé et mis en coupe réglée la Convention. Robespierre fut maître absolu tant qu’il put parler en leur nom. Le jour où l’effroyable dictateur se sépara d’eux pour des questions d’amour-propre, il fut perdu. Le règne des foule, c’est le règne des comités, c’est-à-dire des meneurs. On ne saurait rêver de despotisme plus dur.