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affirmations par d’autres affirmations ; et il n’aura dès lors aucune chance de triompher.

Le programme écrit du candidat ne doit pas être trop catégorique, parce que ses adversaires pourraient le lui opposer plus tard ; mais son programme verbal ne saurait être trop excessif. Les réformes les plus considérables peuvent être promises sans crainte. Sur le moment, ces exagérations produisent beaucoup d’effet, et pour l’avenir elles n’engagent en rien. Il est d’observation constante, en effet, que l’électeur ne s’est jamais préoccupé de savoir jusqu’à quel point l’élu a suivi la profession de foi acclamée, et sur laquelle l’élection est supposée avoir eu lieu.

Nous reconnaissons ici tous les facteurs de persuasion que nous avons décrits. Nous allons les retrouver encore dans l’action des mots et des formules dont nous avons déjà montré le puissant empire. L’orateur qui sait les manier conduit à volonté les foules où il veut. Des expressions telles que : l’infâme capital, les vils exploiteurs, l’admirable ouvrier, la socialisation des richesses, etc., produisent toujours le même effet, bien qu’un peu usées déjà. Mais le candidat qui trouve une formule neuve, bien dépourvue de sens précis, et par conséquent pouvant répondre aux aspirations les plus diverses, obtient un succès infaillible. La sanglante révolution espagnole de 1873 a été faite avec un de ces mots magiques, au sens complexe, que chacun peut interpréter à sa façon. Un écrivain contemporain en a raconté la genèse en termes qui méritent d’être rapportés.

« Les radicaux avaient découvert qu’une république unitaire est une monarchie déguisée, et, pour leur faire plaisir, les Cortès avaient proclamé d’une seule voix la