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massacrés en tas sans qu’il soit besoin de décision spéciale. Pour les autres, ils seront jugés sur la mine et la réputation. La conscience rudimentaire de la foule étant ainsi satisfaite, elle va pouvoir procéder légalement au massacre et donner libre cours à ces instincts de férocité dont j’ai montré ailleurs la genèse, et que les collectivités ont toujours le pouvoir de développer à un haut degré. Ils n’empêcheront pas d’ailleurs — ainsi que cela est la règle dans les foules — la manifestation concomitante d’autres sentiments contraires, tels qu’une sensibilité souvent aussi extrême que la férocité.

« Ils ont la sympathie expansive et la sensibilité prompte de l’ouvrier parisien. À l’Abbaye, un fédéré, apprenant que depuis vingt-six heures on avait laissé les détenus sans eau, voulait absolument exterminer le guichetier négligent, et l’eût fait sans les supplications des détenus eux-mêmes. Lorsqu’un prisonnier est acquitté (par leur tribunal improvisé), gardes et tueurs, tout le monde l’embrasse avec transport, on applaudit à outrance, » puis on retourne tuer les autres en tas. Pendant le massacre, une aimable gaieté ne cesse de régner. Ils dansent et chantent autour des cadavres, disposent des bancs « pour les dames » heureuses de voir tuer des aristocrates. Ils continuent aussi à faire preuve d’une équité spéciale. Un tueur s’étant plaint, à l’Abbaye, que les dames placées un peu loin voient mal, et que quelques assistants seuls ont le plaisir de frapper les aristocrates, ils se rendent à la justesse de cette observation, et décident que l’on fera passer lentement les victimes entre deux haies d’égorgeurs qui ne pourront frapper qu’avec le dos du sabre, afin de prolonger le supplice. À la Force on met les victimes entièrement nues, on les