Page:Le Bon - Psychologie des foules, Alcan, 1895.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
136
PSYCHOLOGIE DES FOULES

applaudi à nos derniers revers, considérée subitement comme une amie.

En littérature, en art, en philosophie, les successions d’opinions sont plus rapides encore. Romantisme, naturalisme, mysticisme, etc., naissent et meurent tour à tour. L’artiste et l’écrivain acclamés hier sont profondément dédaignés demain.

Mais, quand nous analysons tous ces changements, en apparence si profonds, que voyons-nous ? Tous ceux contraires aux croyances générales et aux sentiments de la race n’ont qu’une durée éphémère, et le fleuve détourné reprend bientôt son cours. Les opinions qui ne se rattachent à aucune croyance générale, à aucun sentiment de la race, et qui, par conséquent, ne sauraient avoir de fixité, sont à la merci de tous les hasards ou, si l’on préfère, des moindres changements de milieu. Formées par suggestion et contagion, elles sont toujours momentanées ; elles naissent et disparaissent parfois aussi rapidement que les dunes de sable formées par le vent au bord de la mer.

De nos jours, la somme des opinions mobiles des foules est plus grande qu’elle ne le fut jamais ; et cela, pour trois raisons différentes :

La première est que les anciennes croyances perdant de plus en plus leur empire, n’agissent plus comme jadis sur les opinions passagères pour leur donner une certaine orientation. L’effacement des croyances générales laisse place à une foule d’opinions particulières sans passé ni avenir.

La seconde raison est que la puissance des foules devenant de plus en plus grande et ayant de moins en moins de contrepoids, la mobilité extrême d’idées que