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PSYCHOLOGIE DES FOULES

de Moloch. L’effrayante absurdité de la légende d’un Dieu se vengeant sur son fils par d’horribles supplices de la désobéissance d’une de ses créatures, n’a pas été aperçue pendant bien des siècles. Les plus puissants génies, un Galilée, un Newton, un Leibniz, n’ont pas même supposé un instant que la vérité de tels dogmes pût être discutée. Rien ne démontre mieux l’hynotisation produite par les croyances générales, mais rien ne marque mieux aussi les humiliantes limites de notre esprit.

Dès qu’un dogme nouveau est implanté dans l’âme des foules, il devient l’inspirateur de ses institutions, de ses arts et de sa conduite. L’empire qu’il exerce alors sur les âmes est absolu. Les hommes d’action ne songent qu’à le réaliser, les législateurs ne font que l’appliquer, les philosophes, les artistes, les littérateurs ne sont préoccupés que de le traduire sous des formes diverses.

De la croyance fondamentale, des idées momentanées accessoires peuvent surgir, mais elles portent toujours l’empreinte de la croyance dont elles sont issues. La civilisation égyptienne, la civilisation européenne du moyen âge, la civilisation musulmane des Arabes dérivent d’un tout petit nombre de croyances religieuses qui ont imprimé leur marque sur les moindres éléments de ces civilisations, et permettent de les reconnaître aussitôt.

Et c’est ainsi que grâce aux croyances générales, les hommes de chaque âge sont entourés d’un réseau de traditions, d’opinions et de coutumes, au joug desquelles ils ne sauraient se soustraire et qui les rendent toujours très semblables les uns aux autres. Ce qui mène surtout les hommes, ce sont les croyances et les coutumes dérivées de ces croyances. Elles règlent les moindres