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PSYCHOLOGIE DES FOULES

l’âme des foules, mais il est très difficile d’y établir une croyance durable. Il est également fort difficile de détruire cette dernière lorsqu’elle a été établie. Ce n’est, le plus souvent, qu’au prix de révolutions violentes qu’on peut la changer. Les révolutions n’ont même ce pouvoir que lorsque la croyance a perdu presque entièrement son empire sur les âmes. Les révolutions servent alors à balayer finalement ce qui était à peu près abandonné déjà, mais ce que le joug de la coutume empêchait d’abandonner entièrement. Les révolutions qui commencent sont en réalité des croyances qui finissent.

Le jour précis où une grande croyance est marquée pour mourir est facile à reconnaître ; c’est celui où sa valeur commence à être discutée. Toute croyance générale n’étant guère qu’une fiction ne saurait subsister qu’à la condition de n’être pas soumise à l’examen.

Mais alors même qu’une croyance est fortement ébranlée, les institutions qui en dérivent conservent leur puissance et ne s’effacent que lentement. Lorsqu’elle a enfin perdu complètement son pouvoir, tout ce qu’elle soutenait s’écroule bientôt. Il n’a pas encore été donné à un peuple de pouvoir changer ses croyances sans être aussitôt condamné à transformer tous les éléments de sa civilisation.

Il les transforme jusqu’à ce qu’il ait trouvé une nouvelle croyance générale qui soit acceptée ; et jusque-là il vit forcément dans l’anarchie. Les croyances générales sont les supports nécessaires des civilisations ; elles impriment une orientation aux idées. Elles seules peuvent inspirer la foi et créer le devoir.

Les peuples ont toujours senti l’utilité d’acquérir des croyances générales, et compris d’instinct que la dispa-