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PSYCHOLOGIE DES FOULES

qu’exerce sur notre esprit un individu, une œuvre ou une idée. Cette domination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre âme d’étonnement et de respect. Le sentiment provoqué est inexplicable, comme tous les sentiments, mais il doit être du même ordre que la fascination subie par un sujet magnétisé. Le prestige est le plus puissant ressort de toute domination. Les dieux, les rois et les femmes n’auraient jamais régné sans lui.

On peut ramener à deux formes principales les diverses variétés de prestige : le prestige acquis et le prestige personnel. Le prestige acquis est celui que, donnent le nom, la fortune, la réputation. Il peut être indépendant du prestige personnel. Le prestige personnel est au contraire quelque chose d’individuel qui peut coexister avec la réputation, la gloire, la fortune, ou être renforcé par elles, mais qui peut parfaitement exister sans elles.

Le prestige acquis, ou artificiel, est de beaucoup le plus répandu. Par le fait seul qu’un individu occupe une certaine position, possède une certaine fortune, est affublé de certains titres, il a du prestige, quelque nulle que puisse être sa valeur personnelle. Un militaire en uniforme, un magistrat en robe rouge ont toujours du prestige. Pascal avait très justement noté la nécessité pour les juges des robes et des perruques. Sans elles ils perdraient les trois quarts de leur autorité. Le socialiste le plus farouche est toujours un peu émotionné par la vue d’un prince ou d’un marquis ; et il suffit de prendre de tels titres pour escroquer à un commerçant tout ce qu’on veut[1].

  1. Cette influence des titres, des rubans, des uniformes sur les foules se rencontre dans tous les pays, même dans