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LES MENEURS DES FOULES

Devenue vérité populaire, elle remonte en quelque façon à sa source et agit alors sur les couches supérieures d’une nation. C’est en définitive l’intelligence qui guide le monde, mais elle le guide vraiment de fort loin. Les philosophes qui créent les idées sont depuis bien longtemps retournés à la poussière, lorsque, par l’effet du mécanisme que je viens de décrire, leur pensée finit par triompher.


§ 3. – LE PRESTIGE

Ce qui contribue surtout à donner aux idées propagées par l’affirmation, la répétition et la contagion, une puissance très grande, c’est qu’elles finissent par acquérir le pouvoir mystérieux nommé prestige.

Tout ce qui a dominé dans le monde, les idées ou les hommes, s’est imposé principalement par cette force irrésistible qu’exprime le mot prestige. C’est un terme dont nous saisissons tous le sens, mais qu’on applique de façons trop diverses pour qu’il soit facile de le définir. Le prestige peut comporter certains sentiments tels que l’admiration ou la crainte ; il lui arrive parfois même de les avoir pour base, mais il peut parfaitement exister sans eux. Ce sont des morts, et par conséquent des êtres que nous ne craignons pas, Alexandre, César, Mahomet, Bouddha, par exemple, qui possèdent le plus de prestige. D’un autre côté, il y a des êtres ou des fictions que nous n’admirons pas, les divinités monstrueuses des temples souterrains de l’Inde, par exemple, et qui nous paraissent pourtant revêtues d’un grand prestige.

Le prestige est en réalité une sorte de domination